Table of Contents
Plus j’avance dans le monde de la photographie (professionnelle ou pas), plus je réalise qu’elle est infiniment plus simple que ce qu’on veut nous faire croire pour nous vendre des gadgets hors de prix. Ainsi, les photographes s’entourent de logiciels et de matériels qui automatisent des ensembles (parfois larges) de choses élémentaires en elles-mêmes, et finissent par accumuler des collections de plugins et de gadgets qui complexifient les choses en essayant de les simplifier.
Ces deux appareils font converger des rayons lumineux sur un support photo-sensible. Et rien d’autre.
- temps d’exposition,
- ouverture du diaphragme,
- mise au point,
- sensibilité du capteur.
- temps d’exposition,
- ouverture du diaphragme,
- mise au point,
- sensibilité du film.
Est-ce qu’on peut dire qu’on a simplifié la photographie, en 40 ans ? En fait, ça dépend comment on analyse le problème :
OU
Quelque soit votre approche préférée, la quantité d’intermédiaires ajoutés par la photo automatisée amène tout de même un paradoxe : la solution technique est devenue plus complexe que le problème qu’elle essayait de résoudre (sans préjuger de son efficacité à accomplir la tâche demandée, on parle seulement d’ergonomie).
Les constructeurs de smartphones l’ont compris, et ont ajouté une nouvelle couche d’intelligence artificielle par dessus la couche d’automatisation. Mais alors le photographe devient virtuel/logiciel, tandis que l’utilisateur final devient, au mieux, un genre de directeur artistique qui ne peut dialoguer avec son photographe artificiel que via un formulaire limité.
Ce constat s’applique de la même manière aux logiciels de traitement d’image et, pour le cas qui nous intéresse ici, à tous les gadgets de studio qui permettent de contrôler l’éclairage : si l’on repart de la base, il est possible de s’en sortir avec un nombre limité d’outils très simples donc très polyvalents, qui ont aussi l’avantage de ne coûter presque rien. Par contre, on se rapproche de la technique sale qui fait peur, et il va falloir se cogner, au préalable, quelques concepts pas évidents.
Dans la lignée de ma réflexion générale sur l’état de la photo, qui pourrait se résumer par « perdez 2 jours à comprendre ce que vous faites, repartez des fondamentaux et facilitez vous la tâche pour le reste de votre vie », je vous propose de voir comment on peut construire un éclairage qui mette en valeur le sujet, sans y laisser vos économies en joujoux photo ou 800 € dans un workshop tout moisi.
#Analyse du problème↑
Une image est une réduction plane, en 2D, d’une réalité qu’on peut représenter au moins en 4D (3 dimensions spatiales + 1 dimension temporelle). L’éclairage, et surtout les ombres portées, est l’artifice essentiel qui permet au peintre comme au photographe de figurer la volume et le relief, et donc de rajouter une « demi-dimension » perceptuelle pour compenser la perte. L’objectif principal de la gestion de l’éclairage est donc de poser les ombres portées de manière à accentuer le volume, pour faire oublier que l’image est plane et recréer une illusion « organique » de profondeur.
Le studio, c’est un endroit fermé où l’on peut contrôler précisément cet éclairage à des fins créatives en bloquant la lumière dans les directions qui ne nous intéressent pas. Premier exemple qui vient à l’esprit : les peintres flamands.
On voit ici un exemple d’utilisation des ombres portées pour représenter la structure du visage (arcade sourcillière, menton et pommette) et ajouter des contours internes au visage. La position de l’éclat dans l’œil montre que l’éclairage se compose d’une lumière, située dans le coin supérieur gauche de l’image (éclairage à 45 ° classique). Si cette lumière avait été derrière le peintre, éclairant de façon frontale, on aurait eu un visage totalement plat, dont seuls les contours externes (séparant le visage de l’arrière-plan) apparaîtraient, mais sans détails ni nuances sur le visage en lui-même. Ce qui se passe quand vous faites une photo au flash en utilisant le flash de l’appareil photo, qui est derrière la lentille. Je vous laisse parcourir par vous-même les autres œuvres de Rembrandt, Van Eycke, Rubens, Vermeer, etc.
Les ombres portées ajoutent donc des contours à l’intérieur des surfaces qui appartiennent à un même plan de la scène, et permettent de leur donner de la profondeur : les zones lumineuses « poussent » la matière vers le spectateur, les zones sombres « tirent » la matière vers l’arrière-plan. Il est important de comprendre que l’œil humain, physiologiquement, ne voit que du contraste, et que le cerveau humain, psychologiquement, cherche des contours. Pour s’en rendre compte, il suffit de voir comment un schéma, composé de quelques traits seulement, suffit pour représenter un objet. Exemple : . Un schéma fonctionne pour communiquer parce que votre cerveau passe son temps à extraire des contours pour identifier des formes et chercher du sens, donc le schéma reprend cette unité de sens en fournissant simplement une version pré-digérée de ce que vous faites déjà spontanément dans votre tête.
Pour créer des contours, il suffit de juxtaposer des zones contrastantes. C’est assez facile à faire entre l’avant et l’arrière plan (sujet clair sur fond sombre, ou l’inverse, et c’est plié), mais c’est beaucoup plus complexe à réaliser sur un même plan, car il faut s’arranger pour créer du contraste local de façon plausible.
Si ce sont surtout les ombres portées, d’avantage que la lumière elle-même, qui créent cette illusion de volume, on va avoir un problème logistique grave : on ne sait pas contrôler directement les ombres (densité, sens, dureté des limites). Le mieux qu’on puisse faire est bloquer la lumière où l’on attend des ombres. Il va donc falloir canaliser la lumière, pour en avoir seulement où l’on veut mais pas partout, et inverser notre façon de réfléchir : régler un éclairage, c’est en réalité décider où l’on retire de la lumière. C’est ici qu’entrent en scène les modificateurs de lumière, qui vont permettre de contrôler son étendue, sa direction de propagation et sa texture.
L’approche opposée est l’éclairage que j’appelle « pornographique », pour des raisons évidentes :
L’éclairage pornographique, c’est la lumière qui éclaire tout parce qu’il faut tout voir et tout montrer, comme sur un étal de boucher. C’est bien pour des images qui sont censées se regarder à une seule main, mais c’est le degré zéro de la poésie et de la sensibilité. En général, on va plutôt chercher à travailler l’éclairage pour effectuer un travail de sculpteur et détacher les reliefs. L’éclairage pornographique est l’erreur des mauvais photographes qui ont peur du contraste, et qui « assurent leurs arrières » en mettant de la lumière partout, parce que ça évite d’avoir à choisir et c’est plus simple. Et côté poésie, on repassera.
Donc on a besoin d’ombres, c’est entendu. Mais ça ne suffit pas. Il va aussi falloir que ces ombres fusionnent de façon grâcieuse avec les hautes lumières, pour qu’on n’ait pas une transition violente entre les parties éclairées ou non du visage.
#Solution naïve↑
À ce stade, vous avez compris le problème, vous faites une recherche sur Internet et vous découvrez qu’il va vous falloir un flash. Voire deux. Voire plus. Notez que les anglophones ont deux mots différents pour dire flash :
- strobe, qui désigne un appareil de studio doté d’une lampe-témoin (modeleur), souvent cher (> 800 €), lourd et gros, mais qui a l’avantage de montrer directement comment la lumière tombe et de faciliter le réglage de la lumière et la direction du modèle,
- flash, qui désigne un flash cobra, conçu initialement pour le reportage, petit et facile à transporter.
En langue française, on ne différencie pas les deux, ce qui peut amener des confusions. Donc je vais utiliser les noms anglais.
Le strobe a de multiple avantages, en plus de son modeleur : un temps de recyclage plus court entre 2 éclairs, une alimentation sur secteur ou sur batterie large capacité, et la possibilité de visser directement dessus toutes sortes de modificateurs de lumière (bol beauté, snoot…). Le flash est plus compliqué à l’usage, car vous n’avez pas de modeleur donc vous ne voyez le résultat que sur la photo finale, et la direction de modèle demande beaucoup plus de compétences parce qu’il va falloir anticiper (sur la base de votre expérience) le résultat final.
Mais, rappelez-vous, on est pauvre, donc pas le choix : on va choisir un flash cobra. Pour information, je n’utilise que des flashs cobras dans mes photos studio (voir les portraits et les nus), pour des raisons partiellement budgétaires et partiellement logistiques (transport et stockage). Je n’ai même jamais utilisé de strobe de ma vie. Le meilleur flash que j’aie est aussi le moins cher de ma panoplie, et même si je suis généralement peu enclin à opter pour des chinoiseries bon marché, après plus de 2 ans d’utilisation sans problème, je ne peux que vous le recommander : il s’agit du Yongnuo YN 660 manuel, qui se trouve à environ 60 €. C’est un flash manuel, c’est à dire non TTL, c’est à dire que vous devrez régler sa puissance après avoir mesuré la lumière au posemètre-flashmètre (à acheter en plus), mais honnêtement, je ne conçois pas faire de la photo studio sans flashmètre (pour toutes sortes de raisons que je peux détailler dans les commentaires si ça vous intéresse).
Donc la liste de course :
- 2 flashs Yongnuo 660 manuels (un pour le key, un pour le fill ou background) : 2 × 60 €
- 1 posemètre/flashmètre (entrée de gamme, type Sekonic L308 X) : 250 €
- 1 commandes de flash radio (pour synchroniser les éclairs de flashs avec l’obturateur de l’appareil sans se prendre les pieds dans le fil), type Yongnuo YN560-TX (ou tout équivalent compatible avec le YN 660) : 35 €.
- 2 pieds de flash : si vous ne shootez pas au bord de la mer par un vent de force 5, des modèles bas de gamme à 25 € suffisent.
On est donc à un peu plus de 450 € pour le tout, soit un peu plus de ¾ du prix d’un seul strobe « pas cher ». Conseil d’ami : inscrivez-vous sur la spam-list d’un magasin de matos photo et attendez des promos si vous êtes vraiment serré sur le budget. Les posemètres peuvent aussi se trouver assez facilement d’occasion.
Là-dessus, vous vous lancez : un flash à 45 ° au dessus et au devant du modèle, un autre derrière pour découper la silhouette du fond, clic-clac, et vous êtes déçu par le résultat parce que les ombres sont nettes comme des lames de rasoir, et c’est pas ce qu’on vous avait vendu. Oups.
2 h plus tard, Google vous donne la solution : les flashs sont des lumières ponctuelles, qui vont donc produire des ombres crues et nettes. Pour les adoucir, votre gourou photo local a LA solution : agrandir la surface lumineuse avec un parapluie photo. Ni une ni deux, vous commandez, vous recevez, vous ré-essayez et paf ! Superbe l’éclairage porno : la lumière fuit comme un femme fontaine, rebondit sur les murs, vous n’avez plus d’ombres nulle part et c’est manqué. En fait, il y a deux mauvaises façons d’utiliser un parapluie (pile, je gagne, face, tu perds) :
- en diffusion (en faisant passer la lumière à travers un parapluie transparent), auquel cas la lumière se propage dans toutes les directions et devient incontrôlable (surtout si votre studio n’a pas de murs noirs) parce que, oui, un dôme produit de la diffusion radiale (duh), donc multidirectionnelle mais isotropique (donc pratiquement pas de diffusion), et ce n’est pas ce qu’on cherche,
- en réflexion (en faisant taper le flash dans un parapluie opaque, blanc ou métallisé), ce qui ne vas pas régler votre problème d’ombres dures et va problablement aggraver la présence de points chauds sur la peau (d’autant plus sur les peaux à tendance grasse) parce que, cette fois ci, le parapluie fait converger les rayons lumineux vers le centre de courbure de la surface sphérique, et si l’intérieur du parapluie est métallisé, vous polarisez la lumière, ce qui est la dernière chose que vous voulez en photo.
Il suffit d’avoir fait de l’optique pour comprendre qu’une surface sphérique ne peut pas marcher pour régler notre problème de contrôle des ombres, sous contrainte de douceur des transitions. Il nous faut une surface plane qui travaille en diffusion. Le parapluie, c’est de la merde, et ceux qui vous disent que ça « adoucit la lumière » devraient être interdits d’enseigner parce qu’ils n’ont pas compris la différence physique entre balancer de la lumière partout et diffuser un faisceau lumineux.
Si vous ne me croyez pas, allez voir l’article de Phototrend.fr sur l’introduction au strobisme, il regorge de photos infâmes qui devraient suffire à vous dissuader de suivre les conseils donnés si vous avez un minimum les yeux en face des trous. Parfois, un exemple à ne pas suivre est aussi bon qu’un conseil.
Rendu là, il vous reste seulement deux options :
- abandonner le flash et décider que vous serez un photographe de lumière naturelle, parce que la nature, ça vous parle, c’est Charlie, c’est l’avenir de l’homme, tout ça…
- retourner sur le web, et dépenser encore plus d’argent pour tenter la softbox.
La softbox prend toutes sortes de formes et de tailles : carrée, rectangulaire, octogonale, de 25 cm à 1,80 m. Par rapport au parapluie, elle offre un meilleur contrôle de la diffusion, mieux canalisée (normal, le flash est dans une boîte), mais aussi la possibilité d’ajouter une toile de diffusion plane (le caractère plan est important, on va y revenir) et/ou un nid d’abeille, ce qui fait toute la différence avec le parapluie. Souvent pliante et assemblée par velcroc (donc facile à démonter et/ou à détruire), elle est presque aussi transportable que le parapluie. Voici par exemple le résultat d’une octabox de 120 cm avec diffuseur et nid d’abeille à 45 ° sur le sujet (dans le coin supérieur gauche), et un snoot avec grille dans l’arrière plan :
Notez que je n’ai jamais été fichu de maîtriser le snoot, et ça se voit sur le mur. Mais je continue d’essayer, une fois de temps en temps.
Ici, le résultat d’un bol beauté avec diffuseur de 45 cm de diamètre à 45 ° à droite, une softbox carrée de 25×35 cm à 30 ° à l’arrière (à gauche) et une softbox de 25×120 cm à 45 ° à l’arrière (à droite) :
Le résultat ci-dessus est satisfaisant, mais l’éclairage est si précis que le moindre mouvement de la modèle le réduirait à néant. Le micro-management de modèle que cet éclairage suppose n’est possible qu’avec des modèles professionnels, car il est trop inconfortable pour des particuliers sans expérience et pourrait même les mettre mal à l’aise.
La softbox, c’est cool mais j’en suis revenu :
- la distance entre le flash et la surface diffusante est imposée par la construction de la boîte, et non réglable, donc…
- très vite, on est obligé de collectionner les formats (€€€),
- la confection et les coutures sont d’une qualité très discutable pour les modèles à moins de 300 €, ce qui fait quand même cher pour du semi-jetable,
- l’éclairage créé est extrêmement directionnel et le modèle a peu de marge de manœuvre pour bouger (il faut aimer la photo statique et posée),
- et surtout, mes interactions avec le monde du cinéma m’ont appris des astuces bien plus polyvalentes et nettement moins coûteuses.
#Solution éduquée↑
En fait, il suffit d’ouvrir les carnets de Léonard de Vinci. D’ailleurs, sa méthode est toujours utilisée en cinéma pour faire des éclairage de plateau :
La lumière pour dessiner d’après nature devrait venir d’assez haut, et depuis le Nord pour qu’elle ne varie pas [Note : De Vinci travaille dans l’hémisphère Nord]. Si vous l’avez depuis le Sud, gardez les fenêtres couvertes d’un tissu, de sorte que le mouvement du soleil ne fasse pas varier la lumière au cours de la journée. La hauteur de la lumière devrait être arrangée de sorte que chaque objet projette une ombre au sol égale à sa hauteur [Note : c’est donc un éclairage à 45 °]. Léonard de Vinci, Carnets. Traduction d’après https://books.google.fr/books ?id=PRQaCgAAQBAJ&pg=PT515
Dans le choix de la lumière qui donne le plus de grâce aux visages, si vous avez une cour que vous pouvez couvrir d’un auvent de toile, cette lumière sera bonne. […] Ayez une cour intérieure arrangée avec les murs peints en noir et un toit étroit, projetant entre les murs. Elle devrait avoir 7 mètres de large [10 braccia], 14 mètres de long [20 braccia] et 7 mètres de haut, couverte d’un auvent de toile. Léonard de Vinci, Carnets. Traduction d’après https://books.google.fr/books ?id=PRQaCgAAQBAJ&pg=PT515
En clair, Léo est à fond sur le tissu, pour diffuser la lumière de la source lumineuse et s’assurer d’obtenir des ombres douces. Pour bloquer la lumière parasite, il recommande carrément de mettre le modèle ou l’objet entre 4 murs noirs, et ainsi éviter toute lumière réfléchie (on travaille en lumière seulement incidente). Notez que Peter Lindbergh utilisait une logique similaire, en créant un tunnel de lumière dans l’axe sujet-photographe, au moyen d’une tente noire qui bloquait la lumière de dessus et sur les côtés (mais pas moyen de retrouver une photo qui montre ça).
Sur les plateaux de cinéma, ça se présente sous forme de panneaux de toile de 12×18 m :
Et quelle toile ?
En photo, on parle souvent de la taille de la source lumineuse, mais jamais un seul mot sur la qualité de la diffusion. Quand vous achetez une softbox photo, on vous vend le tissu de diffusion avec sans même vous dire à quel point il diffuse. Or il existe des grades dans la qualité de diffusion, qui sont utilisés avec attention en cinéma, et les directeurs de la photographie ont souvent leur grade préféré, à l’origine de leur signature visuelle.
La diffusion, c’est un phénomène induit par un milieu matériel semi-transparent, qui transmet de la lumière, et dont les éléments constitutifs (molécules pour les gaz et matériaux plastiques, aspérités pour les verres dépolis, ou fils pour les tissus) se comportent comme des sources de lumière primaire, en ré-émettant la lumière dans toutes les directions de l’espace. Plus précisément, ça revient à flouter un faisceau lumineux, de sorte qu’un faisceau net de lumière se propageant en ligne droite devienne une tache floue (illustrations de Lee Filters) :
La qualité de la diffusion, c’est donc la qualité du flou de faisceau lumineux, exactement comme le bokeh est la qualité du flou d’objectif.
Le directeur de la photographie Don McVey a réalisé une étude exhaustive du rendu de tous les filtres de diffusion du constructeur anglais Lee Filters. Ses photos sont utilisées par Lee filters dans une application qui permet de comparer les filtres deux à deux sur la même scène. Entre chaque photo, seule la qualité du diffuseur change, pas l’éclairage ni la taille de la surface de diffusion. Jugez vous-même :
De haut en bas, j’ai choisi des filtres qui absorbent tous environ 1 EV de lumière (on aurait eu des différences moins nuancées en comparant des filtres d’absorption différentes). Le 216 élimine pratiquement les ombres, mais aussi les reflets dans les cheveux, sur les pommettes et sur les lèvres, et aplatit considérablement le modelé. Le 220 est dans la même veine, en dessinant des contours d’ombres portées très estompés, mais en offrant un peu plus de contraste entre les ombres et les hautes lumières (notamment l’ombre du nez) et plus de reflets lumineux dans les cheveux. Le 439 augmente encore le contraste d’un cran, avec des ombres encore très adoucies, mais des reflets lumineux plus marqués sur les lèvres et les cheveux. Le 439p est un drôle de zèbre, similaire au précédent mais doté de micro-perforations, qui transmet un peu de lumière directe, pour des ombres plus franches, sans toutefois être encore dures, et un modelé plus marqué.
J’insiste bien sur le fait que la surface effective de diffusion est exactement la même, de même que les distances lumière-diffuseur-modèle, ce qui met donc en évidence l’importance de ce paramètre crucial, et pourtant inconnu des photographes : la qualité de la diffusion. Tous les diffuseurs ne se valent pas.
Je vous invite à tester l’application Lee filters pour comparer d’avantage de filtres, ou à commander des livrets d’échantillons chez eux ou chez leur concurrent US Rosco pour faire vos tests. Les rouleaux de filtres de diffusions Lee ou Rostco se trouvent entre 45 et 75 € (au format 7,62 × 1,23 m) ou autour de 7 € pour des feuilles de 50 × 123 cm (chez Thomann, ou B&H Photo, par exemple). Il suffit de les couper puis de les fixer, bien tendus et plats, sur des cadres, soit avec de l’adhésif double face, soit avec des pinces à papier.
On est alors bien loin du prix d’une softbox (200 à 500 € pour des rectangles de 50 × 130 cm), pour un produit bien plus polyvalent. Et si c’est encore trop cher pour votre bourse, vous pouvez utiliser des draps blancs entre 100 et 400 fils/cm², également utilisables comme réflecteurs, ou encore des rideaux de douche transparents en vinyle ou polypropylène épais (choisissez des finitions givrées et des matériaux d’aspect caoutchouteux pour une diffusion très douce), ou du papier calque.
Plus le matériau est fin et translucide, moins il diffusera. Plus il est épais et opaque, plus il absorbera de lumière (jusqu’à 3 stops). En magasin, pour estimer la diffusion d’un tissu, vous pouvez placer une feuille avec du texte imprimé en gros caractères derrière le tissu, et juger à quel point les contours paraissent flous.
Que se passe-t-il exactement pendant la diffusion ?
Imaginons que le diffuseur 1 (à gauche) soit un rideau de douche épais, et le diffuseur 2 (à droite), soit un diffuseur fin, similaire aux mousselines vendues avec la plupart des softboxes. Le diffuseur le plus épais ré-oriente les rayons lumineux dans des directions aléatoires de l’espace suivant une distribution des directions globalement gaussienne. C’est aussi ce qui se passe par temps couvert, à travers les nuages. Le diffuseur fin ne réoriente que très peu, et laisse en fait traverser la quasi totalité des rayons en ligne droite. Il se contente donc seulement d’étendre la source de lumière, mais sans changement de sa qualité. C’est ce qui se passe aussi avec un parapluie. Si l’on imagine le résultat de ces deux éclairages sur une sphère, on obtiendrait quelque chose comme ceci :
Pour bloquer la lumière, là où vous voulez des ombres plus marquées, il suffit d’utiliser un negative fill, c’est à dire un écran noir mat qui va bloquer les réflexions parasites sur les murs environnants. Vous pouvez soit utiliser un tissu noir épais, soit des papiers d’aluminium peints en noir mat, vendus en rouleaux spécialement conçus pour cet usage au cinéma. Ces mêmes rouleaux peuvent aussi servir à façonner des volets pour guider la lumière entre le flash et le diffuseur si besoin, et éviter les fuites.
Comment ça s’utilise ?
L’idée générale est d’amener le filtre de diffusion (ou le rideau de douche), bien tendu, le plus proche possible du sujet, juste à l’extérieur du cadre de la photo. Plus le filtre est proche du sujet, plus les ombres sont douces et estompées.
La taille de filtre à prévoir dépend de la portion du corps que vous voulez éclairer, de la marge de mouvement que vous autorisez au modèle, du contraste que vous voulez, et bien sûr de l’espace disponible au studio. Il est toujours préférable de maximiser la taille du filtre. Prévoyez environ 1 × 1 m en première approche, et augmentez cette surface à mesure que vous devez éloignez le diffuseur du sujet.
Étant donné que le flash produit un faisceau conique, qui s’évase avec la distance, la distance filtre-flash va déterminer la largeur réelle du faisceau lumineux, qui est donc bornée par la largeur du diffuseur. Certains flashs, dont le Yongnuo sus-mentionné, possèdent aussi un système de focalisation qui permet, via une lentille, de concentrer plus ou moins le faisceau lumineux. Plus le faisceau est large sur le filtre, plus la surface lumineuse est grande, plus le contraste est réduit entre les hautes et basses lumières sur le sujet.
Ensuite, il va falloir ajuster l’angle du diffuseur avec l’axe sujet-photographe, la position et la hauteur de la source lumineuse par rapport au sujet. Ici, c’est la direction des ombres portées que vous désirez qui va dicter ces deux paramètres. Il s’agit surtout de décider à quel point vous voulez remplir ou creuser le visage : plus la lumière est à l’avant du modèle, plus on remplit, plus la lumière est sur le côté du modèle, plus on creuse, en sachant que le canon classique est exactement au milieu, à 45 °. Ce paramètre est important à considérer lorsque vous photographiez des personnes obèses ou décharnées, car vous pouvez l’utiliser pour leur enlever ou leur ajouter des kg perceptuels simplement en déplaçant l’éclairage. Faites attention si vous passez en éclairage rasant (lumière proche de 90 ° à gauche ou à droite du sujet) car cela accentue beaucoup la texture de peau (donc les boutons) et demandera probablement une diffusion plus forte. De même, si vous relevez trop l’éclairage par rapport au sujet, les arcades sourcilières vont produire une ombre très marquée sur la paupière, et vous allez transformer votre modèle en panda.
Pour débuter, le plus simple est probablement de démarrer avec le canon classique (lumière à 45 ° à gauche/droite, 45 ° en haut du sujet), et de tourner autour de cette position pour observer ce que ça change sur l’image. Ce genre d’expérimentation in-situ vaut mieux que toutes les explications longues et compliquées que vous pourrez trouver.
Pour vos premières photos, essayez de garder un contraste entre les parties exposées et les parties à l’ombre de 4 EV maximum. Il suffit de prendre des mesures au flashmètre, en mode lumière ambiante, dans les zones éclairées (en direction de la lumière), à l’ombre (en direction de l’appareil photo), et sur le bout du nez (en direction de l’appareil photo) :
- La mesure sur le nez donne le 0 EV (la référence globale de gris moyen, utilisée pour régler l’exposition de l’appareil photo),
- la mesure dans la zone éclairée vous donne la limite des reflets spéculaires (pas plus de + 2 à + 2,5 EV au-dessus du gris moyen)
- la mesure dans la zone à l’ombre vos donne une idée des basses lumières (pas plus de - 2 à - 2,5 EV en dessous du gris moyen)
Vous pourrez, à mesure que vous prendrez de l’expérience, tenter ensuite des contrastes plus marqués mais gardez à l’esprit qu’un tirage couleur a une plage dynamique maximale d’environ 5,6 EV, et un tirage N&B environ 6,6 EV, donc inutile de tirer sur la corde si c’est pour tone-mapper plus tard en post-traitement.
Le schéma ci-dessus montre une disposition d’éclairage possible, avec le diffuseur à la limite du champ optique. Le fond est oblique par rapport à l’axe photographe-sujet, de sorte à produire un léger dégradé lumineux qui complémente le contraste du sujet (le fond sera plus sombre sur la gauche, là où le sujet est éclairé, et plus clair sur la droite, là où le sujet est plus sombre).
La diffusion est mise en évidence par les flèches fines, qui matérialisent les directions aléatoires données aux rayons lumineux par le diffuseur, et c’est ce phénomène qui adoucit et estompe les contours des ombres portées. La transmission, à l’inverse, mise en évidence par les flèches grasses, est la lumière qui traverse le diffuseur en ligne droite, et qui va provoquer des reflets lumineux dans les cheveux et sur les parties saillantes du visage (nez, front, lèvres).
Tout le jeu consiste à équilibrer le ratio diffusion/transmission de façon à modeler les ombres et les hautes lumières. Trop de transmission risque de provoquer des points chauds sur la peau, et de faire briller le front et le nez (souvent plus huileux que les joues). Pas assez de transmission risque d’écraser les reliefs et d’aplatir l’image. Ce ratio diffusion/transmission peut être ajusté en choisissant la qualité du diffuseur, mais il est aussi possible de diminuer la transmission en tournant le flash par rapport au diffuseur, de sorte que la direction d’incidence de la lumière ne soit plus normale au plan du diffuseur et que le sujet ne se trouve plus sur la trajectoire du faisceau incident. En revanche, diminuer la transmission implique qu’on absorbe plus de lumière (au moins 2 EV), et il faut alors prévoir un flash assez puissant.
Sur la photo ci-dessus, on a le résultat obtenu avec le réglage indiqué. Malgré une transition plutôt douce des ombres vers les hautes lumières, on a des points chauds sur l’épaule, l’arrête du nez et le sein gauche. On aurait donc gagné à choisir une transmission plus atténuée, et peut-être une surface lumineuse plus large, en reculant le flash par rapport au diffuseur (ici, un simple drap de lit usé), et en changeant son angle. On aurait pu également bloquer la fuite de lumière dans la partie gauche du fond, de sorte à accentuer le dégradé de gauche à droite (mais ça n’était pas possible, par marque de place, dans la pièce où la photo a été réalisée).
La photo ci-dessus fait partie de mes premiers tests avec ce type d’éclairage. J’avais littéralement arraché le drap de mon lit, et je l’avais suspendu entre 2 pieds de flash. La qualité de lumière est plutôt bonne, même si le fall-off est un peu trop marqué (il aurait suffit de reculer le flash par rapport au diffuseur, mais dans 15 m², on fait comme on peut…), cependant la lumière vient trop de côté et divise le visage en deux de manière trop franche. Ça peut marcher pour donner un côté « vilain » au modèle, et instaurer une ambiance sombre voire glauque, mais ça ne colle pas à l’expression du visage ici. Quoi qu’il en soit, on n’a pas de point chaud, donc la diffusion marche bien.
Trucs et astuces
Évitez globalement tous les modificateurs de lumière qui réfléchissent la lumière directement sur des surfaces métalliques ou brillantes (softboxes métalisées utilisées sans diffuseur, réflecteurs métalisés, etc.). Ces surfaces polarisent la lumière, ce qui peut parfois avoir des effets imprévisibles avec les porteurs de lunettes et certains maquillages (nacrés, brillants), mais surtout elles risquent de créer des points chauds très disgrâcieux sur la peau puisqu’elles ne diffusent absolument pas. Elles paraissent être une bonne idée, car elles permettent une moindre perte de lumière, mais en réalité la qualité de lumière produite est très médiocre. Préférez toujours des surfaces mattes, poudrées ou tissées, diffusantes, même si elles absorbent plus de lumière.
Méfiez vous de la prévisualisation que vous donne votre appareil photo sur son écran : il s’agit d’un raw traité en JPEG, sur lequel le contraste et la luminosité ont été amplifiés par le processeur du boîtier, et non un fichier raw. Créez vous un style personnalisé en noir et blanc, avec le contraste diminué au minimum et une luminosité légèrement accentuée, de façon à pouvoir bien apprécier les détails de l’image, et en particulier le modelé. Le noir et blanc vous aidera aussi à vous concentrer sur la lumière sans être distrait par les couleurs.
Si vous travaillez avec différentes sources lumineuses (lumière naturelle ambiante et flash), assurez vous que leur températures couleur coïncident. Si tel n’est pas le cas, Rosco et Lee vendent des carnets de gélatines qui permettent d’équilibrer la couleur des flashs pour la plupart des illuminants.
Si vous travaillez en couleur, n’hésitez pas à faire la balance des blancs directement en prenant le diffuseur en photo, que vous garderez comme référence du blanc pour votre post-traitement (pensez à ajuster vos paramètres d’exposition temporairement pour ne pas brûler la photo).
Dès qu’on commence à maîtriser l’éclairage, on est assez vite tenté d’en exagérer la complexité et de rajouter toujours plus de sources de lumières pour étaler sa virtuosité dans des réglages de plus en plus compliqués. Mais il faut garder à l’esprit que plus l’éclairage est complexe, plus il devient rigide, et plus on force le modèle dans une posture statique de statue vivante et pas forcément confortable. Pour un portraitiste, cette notion est importante à garder en tête, car l’expérience de la personne photographiée peut se trouver considérablement dégradée et les photos s’en ressentiront. Il est donc souvent préférable de freiner ses élans de virtuosité pour garder un réglage plus simple et plus souple, mais plus humain.
L’éclairage du fond est une partie intégrante de l’éclairage studio, et je l’ai négligé trop longtemps. Poser un dégradé directionnel dans l’arrière-plan, qui complémente le contraste sur le sujet, apporte un plus indéniable et une supplément de nuance. Ici encore, un bon diffuseur permettra de fondre le dégradé sans jonction apparente. Beaucoup de photographes utilisent un fond perpendiculaire à l’axe sujet-photographe, alors qu’un fond oblique permet de créer facilement un dégradé en utilisant la lumière principale du sujet.
Conclusion
Il est possible de réaliser un éclairage artificiel de la même qualité qu’un éclairage naturel, avec un rideau de douche, un cadre en bois et un flash à 60 €, pour peu qu’on aille un peu plus loin dans la démarche que simplement regarder la taille du diffuseur. Ajoutez quelques paravents tapissés de toile noire, un deuxième flash pour équilibrer, et vous êtes parés à toute éventualité. Après, ça va être une histoire de tester encore et encore jusqu’à être à l’aise et développer une intuition de ce qu’on fait. La beauté de ce système, c’est que ce n’est pas juste un truc moins cher et moins bien, c’est moins cher et meilleur. La diffusion est mieux maîtrisée, les diffuseurs sont interchangeables, la distance flash-diffuseur n’est pas limitée par la construction de la softbox, pas plus que la surface utile, donc on n’a pas besoin d’accumuler les formats de softboxes, et ça marche avec n’importe quelle source lumineuse (fenêtre, lampe, soleil, flash, n’importe)… C’est juste génial.
J’ai vu beaucoup de photographes, ces 10 dernières années, professionnels, donnant des workshops, équipés de plusieurs dizaines de milliers d’euros de matos d’éclairage, et parfois d’appareils moyen-formats délirants, et pas un seul n’a jamais mentionné la qualité de la diffusion comme un paramètre crucial de l’éclairage. Pour les photographes, un diffuseur est équivalent à n’importe quel autre, du moment que ça diffuse, et seule la taille ou la forme compte. Pourtant, quand je discute avec des gens de cinéma, c’est de la culture générale à Hollywood, et Léonard de Vinci a commencé à bosser là-dessus au moins depuis 1508. Ce n’est pas faute, non plus, d’avoir aujourd’hui toute un gamme de diffuseurs de qualité à des tarifs (trop ?) abordables.
Plus je fréquente le cinéma, plus les photographes me paraissent des gueux arriérés satisfaits d’eux-mêmes, que ça soit devant un logiciel de post-traitement ou derrière un posemètre, et je ne comprends pas pourquoi les deux milieux sont si hermétiques l’un à l’autre, ni pourquoi on a un tel écart de compétences.
Tant que les photographes compenseront leur incompétence crasse par des k€, on aura la moitié des portraitistes, intéressés par la subtilité et la nuance, qui ne feront que de la lumière « naturelle », tandis que les autres, intéressés par le contraste et les effets dramatiques, qui ne feront que du « studio », alors que si vous comprenez un minimum la lumière, avec un diffuseur assez fort de la taille d’une fenêtre, le machin qui produit les photons derrière le diffuseur est strictement sans importance : vous aurez des ombres douces quoi qu’il arrive.
Tout le modelé réside dans le ratio transmission/diffusion de votre diffuseur, et les saletés de mousselines de polyester vendues avec les softboxes sont seulement conçues pour avaler le moins de lumière possible. D’ailleurs je n’ai jamais vu une seule softbox livrée avec différentes qualités de toile de diffusion, ça prouve bien que les branquignols qui vous les vendent n’ont pas la moindre idée de ce qu’ils font.
Remerciements à Troy Sobotka, qui m’a appris à jouer avec des rideaux de douche, talent qu’il a lui-même acquis sur des productions à budget virtuellement non-existant.
Leave A Comment