Artiste. Personne qui exerce professionnellement un des beaux-arts ou, à un niveau supérieur à celui de l’artisanat, un des arts appliqués. [ref]Définition Larousse, http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/artiste/5584 ?q=artiste#5558[/ref]. Original, marginal.

Je refuse le mainstream pour exister. Je refuse de refuser le mainstream parce que l’underground, c’est encore mainstream. Je recherche ton regard pour exister à travers tes yeux. Je cherche à exister dans un monde qui se passe parfaitement de moi. J’ai résolu le problème de l’existence en inventant pleins d’autres problèmes que je ne résouds pas vraiment. Je te pose des questions auxquelles les réponses te semblent évidentes parce que tu ne te les es jamais vraiment posées. Je triture tes évidences parce qu’elles me semblent suspectes. Viens, je t’emmène dans ma complexité, si tu veux. D’artiste à autiste, on ne trébuche que sur une lettre.

Je ne te comprends pas. J’ai fait semblant d’être comme toi. J’ai eu des bonnes notes à l’école. J’ai entamé de grandes études sur le sujet qui me passionait. J’ai failli devenir normal, j’ai tenté de m’en convaincre. Et puis j’ai découvert qu’on m’avait menti. Les génies sont rigolos et colorés, brillants et farfelus, ils font rayonner leur discipline. Les profs qui l’enseignent sont tristes et ennuyeux, ils t’apprennent à devenir comme eux. J’ai pris la tangente de l’académisme. Le bon élève rejoint les inadaptés scolaires dans l’à-quoi-bon-isme. 

Comment tu fais, toi, pour vivre ? La télé, je peux pas. Le foot, je peux pas. L’opium du peuple, ça marche pas. Les convictions en conserve, ça me touche pas. Je regarde le monde, tout ce que j’y vois sont des incertitudes muettes et des certitudes armées. Les gens qui font le plus de bruit sont ceux qui ont le moins à dire. La nuance n’engendre pas l’éloquence. On n’applaudit pas celui qui pense en silence. On veut croire et suivre celui qui a le meilleur bon sens. Pourvu qu’il ait l’air sûr de sa science, on n’ira pas recompter les vers de ses stances…

Je me donne des titres pompeux pour que tu les valides. Poète, storyteller, peintre de lumière, artiste multimédia, performer, créatif, capteurs de rêves ou de souvenirs. Je me crée une carrière internationale. Des prix de fondations pour optimisation fiscale déguisée en mécénat. Des publications gratuites dans des magazines web. Des clients prestigieux pour leurs moyens plus que pour leur originalité. Je me bâtis une crédibilité de borgne en enseignant mon art aux aveugles. Je m’invente artiste ergo je suis un artiste. Je refuse d’être appelé artiste ergo je suis un artiste. Je m’achète une démarche contestataire au marché de l’avant-garde. Je suis le pro-anti-néo qui nie la négation de ce qu’il défend en rejetant son contraire. Je fuis le monde et recherche le public. Le succès qui remplira mon frigo et transformera la joie de créer dans mon coin en angoisse de décevoir mes fans me rendra-t-il stérile ? Bof, on verra bien.

Je me parle à moi-même en espérant toucher la masse. Il faut que je sois vrai, il me faut ignorer les modes. Je dois plaire sans chercher à plaire, mais pas à tout le monde. Je peux chercher à déplaire, à la rigueur. Si le succès arrive, c’est que le public se reconnaît dans mon travail. S’il tarde, c’est que je suis trop compliqué pour la plèbe, qui ne comprend rien. À tous les coups, mon ego doit gagner : je combats mon anxiété.

Est-ce qu’on peut être artiste sans être inadapté ? Est-ce qu’on questionne le moule quand on y rentre bien ? Est-ce qu’il faut faire des moules juste pour les artistes ? On n’exp(l)ose jamais si bien les normes sociales qu’en en créant de nouvelles. Je suis le changement que je ne provoque pas en tentant de tout changer. On change les étiquettes, on n’abolit pas les cases. On combat les cases en créant plus de cases. Mes paradoxes exposent les limites de ma logique interne. Peu importe la logique tant que la conclusion m’est douce. J’invente un nouveau monde avec les mêmes erreurs que l’ancien. C’est le même air qu’on joue, on a juste changé la clé. Ce qui est immuable, c’est qu’on veut tout changer.

Regarde l’autre, il se prend pour un artiste. Il sait à peine tenir un pinceau, à peine régler son appareil photo. Il s’invente une démarche, mais ses traits bavent et sa lumière est fade. Il est artiste du samedi midi au dimanche soir. C’est possible ça, d’être artiste à temps partiel ? Le reste du temps, tu arrêtes de ressentir ? Tu joues l’adapté social ? Tu ranges ta marginalité sous ton mouchoir ? Ça sert à rien l’art, si t’en n’as pas besoin. Pour toi c’est juste un passe-temps bourgeois. Mais dis-moi quand même, comment tu fais pour exister ? Ça a l’air moins étouffant quand c’est juste un passe-temps…