Table of Contents
  1. Cas d’école
  2. Quel intérêt pour un photographe ?
  3. Je suis nul en dessin, que faire ?
  4. Pourquoi c’est important ?

Si vous suivez ce blog depuis un moment, vous savez que je me méfie des conseils, de ceux qui les donnent, de ceux qui en cherchent, et que je me garde bien d’en donner. De mon point de vue, toute personne qui vous donne des conseils à froid, sans avoir analysé votre situation particulière, commet une faute et cherche habituellement à vous vendre quelque chose. Que ça soit des curés ou des gourous du développement personnel, en passant par tous les grands photographes de YouTube dont le travail ne sort pas d’internet.

Ici, je vais faire une exception. J’ai un conseil à vous donner :

dessinez !

#Cas d’école

Regardez, vous allez comprendre :

https://www.youtube.com/watch ?v=NCzbxBkL4FI

https://www.youtube.com/watch ?v=4tmLfnLQzpQ

Voyez-vous comment Lagerfeld est capable de ressortir de sa mémoire des créations des années 1960, 70, 80 ? Voyez-vous comment, en quelques lignes, il parvient à esquisser un visage, une robe, pas de façon précise mais suffisamment pour en donner le mouvement et l’impression générale ?

#Quel intérêt pour un photographe ?

Ce type d’esquisse permet de jeter en 2 dimensions les lignes principales et les contours importants de la réalité que vous observez. Pour la réaliser, vous devez analyser la scène que vous voulez représenter, séparer mentalement les lignes directrices (perspectives, contours, etc.) des détails, et finalement choisir quels éléments graphiques sont utiles ou superflus pour signifier ce que vous voulez représenter. C’est un travail mental de synthèse de la scène, qui vous exerce à observer, analyser, déconstruire. Pour un photographe, l’important, ici, c’est l’exercice plus que le résultat. Comme pour un mathématicien d’ailleurs.

Quand vous faites une photo, vous refaites alors le procédé dans le sens inverse : vous choisissez votre point de vue, vous reconstruisez le cadre, vous positionnez les éléments. À la place de représenter ce qui est, vous arrangez la réalité pour qu’elle communique ce que vous voulez comme vous voulez.

Le dessinateur décompose son image, le photographe la compose. Dans les deux cas, il s’agit de réfléchir et de préparer son image, une chose que beaucoup de photographes laissent au hasard.

À force de pratiquer le dessin, au bout d’un moment, vous n’avez plus besoin de papier : le processus se fait de manière instinctive dans votre tête. Quelques photographes (Henri Cartier-Bresson, Irving Penn) étaient peintres avant d’être photographes, avec un talent particulier pour la composition. Le vrai travail commence quand l’exercice est devenu instinctif. C’est ça qui prend du temps.

Enfin, le croquis peut être utilisé comme storyboard, pour préparer la photo et communiquer l’idée générale à vos collaborateurs de façon efficace. Un dessin, même moche, est une très bonne explication et une façon un peu plus personnelle de préparer une photo que d’aller copier des moodboards Pinterest. Même dans les milieux techniques et en ingénierie, on dessine tous les jours, pour expliquer, préparer des plans ou présenter des idées de design. Et, contrairement à ce qu’on pense, c’est toujours à la main sur du papier.

#Je suis nul en dessin, que faire ?

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On répète que l’objectif, dans ce contexte, n’est pas de devenir un Albrecht Dürer ou un Gustave Doré. C’est juste de faire passer l’idée en quelques traits. Ça demande, certes, de la pratique et de l’entraînement, mais tout se mérite…

#Pourquoi c’est important ?

On ne va pas se mentir : la photographie est le produit d’entrée de gamme des arts graphiques. Vous-même, auriez-vous eu le courage de commencer à apprendre la musique ou la peinture plutôt que la photographie ? Beaucoup de gens se mettent à la photo par défaut, parce que c’est « facile » (comprendre : on n’a pas besoin de s’entraîner 2 h par jour pendant 4 à 10 ans pour avoir un résultat), certains même pensent qu’on n’a pas besoin de l’apprendre (il y a un mode auto), et au final la photo procure une gratification immédiate pour 4 à 12 fois le prix d’un kit de peinture. Gratification immédiate, c’est un peu le mot d’ordre du XXIe siècle. Même pour leurs loisirs, les gens n’ont plus le temps d’apprendre, il leur faut des raccourcis et des recettes miracles.

Sauf qu’il va bien falloir se dire que la photo est morte avec le numérique : si tout le monde est photographe, plus personne n’est photographe. Donc il faut réinventer la photographie. Il y a 40 ans, la complexité technique et le coût matériel suffisaient à assurer la survie de photo-reprographes pas toujours créatifs. Le photographe était alors à l’appareil photo ce que le servant d’artillerie était au canon : le bonhomme qui charge, déclenche et nettoie. Ceux qui continuent comme ça dans les années 2010 meurent progressivement, sans comprendre pourquoi, en développant une rancœur croissante envers les amateurs qui leur « volent » leur travail.

Aujourd’hui, ce qui fait la différence entre l’instagrameur de base et le photographe, c’est la capacité à se servir du medium photographique comme outil de communication. Dans ce contexte, avoir la photographie comme seul bagage graphique, c’est un peu léger. La photographie se trouve maintenant au croisement entre un genre de cinéma statique (oui, c’est un oxymore), où l’on insiste sur la narration comme le ferait un metteur en scène, et un photo-graphisme, où l’on insiste sur le travail esthétique comme le ferait un graphiste. Même le photojournalisme n’y échappe pas : il suffit de voir le World Press Photo pour se rendre compte qu’un bon sujet ne suffit plus, les photos qui gagnent sont pratiquement des tableaux faits sur le vif. Encore un oxymore. Autant pour les débiles qui répètent à longueur de temps « qu’on ne fait pas une photo, on la prend ». Dans une photo, on choisit l’angle, le cadre, le point de vue, le moment du déclenchement, l’éclairage, et finalement on choisit comment on la retouche et si on la publie ou pas. Ça fait beaucoup de choix, de biais et d’interventions humaines pour un truc supposé représenter la « réalité ».

La photographie, comme les autres arts graphiques, se travaille, se prépare, se conçoit, s’édite et se retouche. Si elle était un moyen de reproduction à la base, elle survit aujourd’hui en étant un moyen d’expression. Et dans cet objectif, les peintres et graphistes ont beaucoup plus à nous apprendre que tous les médiocres qui passent plus de temps à faire des vidéos pour YouTube qu’à prendre des photos. De plus, au XXe siècle, c’est surtout le cinéma (d’auteur, mais pas seulement), bien plus que la photographie commerciale, qui a construit le langage visuel collectif, souvent en s’inspirant de la peinture classique. Il est inadmissible, pour un photographe, de n’être pas un minimum cinéphile.

Et dans tout ce contexte, le dessin, ça aide à poser ses idées de façon naïve et spontanée, sans subir les aléas techniques, en mode créativité pure, pour ensuite se rendre tranquillement vers la réalisation pratique puis jusqu’au résultat. Dessiner apprend à regarder de façon active et permet d’isoler la conception des limites pratiques de la réalisation. Et puis après, on s’arrange.